{"id":1512,"date":"2022-02-01T08:54:58","date_gmt":"2022-02-01T08:54:58","guid":{"rendered":"https:\/\/interculturalita.it\/?p=1512"},"modified":"2024-01-27T11:23:23","modified_gmt":"2024-01-27T11:23:23","slug":"antonin-artaud-levolution-du-decor","status":"publish","type":"post","link":"https:\/\/interculturalita.it\/antonin-artaud-levolution-du-decor\/","title":{"rendered":"Antonin Artaud: L\u2019\u00e9volution du d\u00e9cor"},"content":{"rendered":"

Antonin Artaud
\nL\u2019\u00e9volution du d\u00e9cor
\n\u0152uvres Compl\u00e8tes II
\nGallimard<\/p>\n

 <\/p>\n

Il faut ignorer la mise en sc\u00e8ne, le th\u00e9\u00e2tre.<\/p>\n

Tous les grands dramaturges, les dramaturges types ont pens\u00e9 en dehors du th\u00e9\u00e2tre.<\/p>\n

Voyez Eschyle, Sophocle, Shakespeare.<\/p>\n

Voyez, dans un autre ordre d\u2019id\u00e9es, Racine, Corneille, Moli\u00e8re. Ceux-ci suppriment ou \u00e0 peu pr\u00e8s la mise en sc\u00e8ne ext\u00e9rieure, mais ils creusent \u00e0 l\u2019infini les d\u00e9placements int\u00e9rieurs, cette esp\u00e8ce de perp\u00e9tuel va-et-vient des \u00e2mes de leurs h\u00e9ros.<\/p>\n

L\u2019asservissement \u00e0 l\u2019auteur, la soumission au texte, quel fun\u00e8bre bateau! Mais chaque texte a des possibilit\u00e9s infinies. L\u2019esprit et non la lettre du texte! Mais un texte demande plus que de l\u2019analyse et de la p\u00e9n\u00e9tration.<\/p>\n

Il y a \u00e0 r\u00e9tablir une esp\u00e8ce d\u2019intercommunication magn\u00e9tique entre l\u2019esprit de l\u2019auteur et l\u2019esprit du metteur en sc\u00e8ne. Le metteur en sc\u00e8ne doit faire m\u00eame abstraction de sa propre logique et de sa propre compr\u00e9hension. Ceux qui ont pr\u00e9tendu jusqu\u2019ici s\u2019en r\u00e9f\u00e9rer uniquement \u00e0 des textes sont parvenus peut-\u00eatre \u00e0 se d\u00e9barrasser du mim\u00e9tisme b\u00e9at de certaines traditions, ils n\u2019ont pas su avant tout faire abstraction du th\u00e9\u00e2tre et de leur propre compr\u00e9hension. Ils ont remplac\u00e9 certaines traditions moli\u00e9resques ou od\u00e9oniennes par telles nouvelles traditions venues de Russie ou d\u2019ailleurs. Et alors qu\u2019ils cherchaient \u00e0 se d\u00e9barrasser du th\u00e9\u00e2tre, ils pensaient encore et toujours au th\u00e9\u00e2tre. Ils composaient avec la sc\u00e8ne, avec les d\u00e9cors, avec les acteurs.<\/p>\n

Chaque \u0153uvre ils la pensent en raison du th\u00e9\u00e2tre. Reth\u00e9\u00e2traliser le th\u00e9\u00e2tre. Tel est leur nouveau cri monstrueux. Mais le th\u00e9\u00e2tre, il faut le rejeter dans la vie.<\/p>\n

Ce qui ne veut pas dire qu\u2019il faut faire de la vie au th\u00e9\u00e2tre. Comme si on pouvait seulement imiter la vie. Ce qu\u2019il faut, c\u2019est retrouver la, vie du th\u00e9\u00e2tre, dans toute sa libert\u00e9.<\/p>\n

Cette vie est tout enti\u00e8re incluse dans le texte des grands tragiques, quand on l\u2019entend avec sa couleur, qu\u2019on le voit avec ses dimensions et son niveau, son volume, ses perspectives, sa particuli\u00e8re densit\u00e9.<\/p>\n

Mais nous manquons de mysticit\u00e9. Qu\u2019est-ce donc qu\u2019un metteur en sc\u00e8ne qui n\u2019est pas habitu\u00e9 \u00e0 regarder avant tout en soi-m\u00eame et qui ne saurait pas au besoin s\u2019abstraire et se d\u00e9livrer de lui? Cette rigueur est indispensable. Ce n\u2019est qu\u2019\u00e0 force de purification et d\u2019oubli que nous pourrons retrouver la puret\u00e9 de nos r\u00e9actions initiales et apprendre \u00e0 redonner \u00e0 chaque geste de th\u00e9\u00e2tre son indispensable sens humain.<\/p>\n

Pour l\u2019instant, recherchons avant tout des pi\u00e8ces qui soient comme une transsubstantiation de la vie. On va au th\u00e9\u00e2tre pour s\u2019\u00e9vader de soi-m\u00eame ou, si vous voulez, pour se retrouver dans ce que l\u2019on a, non pas tellement de meilleur, mais de plus rare et de plus cribl\u00e9. Tout est loisible au th\u00e9\u00e2tre, sauf la s\u00e9cheresse et la \u00abquotidiennet\u00e9\u00bb. Que l\u2019on jette donc les yeux sur la peinture. Il y a, \u00e0 l\u2019heure qu\u2019il est, de jeunes peintres qui ont retrouv\u00e9 le sens de la v\u00e9ritable peinture. Ils peignent des joueurs d\u2019\u00e9checs ou de cartes qui sont semblables \u00e0 des dieux.<\/p>\n

Qu\u2019est-ce qui provoque cette attraction du cirque et du music-hall sur notre monde moderne? J\u2019emploierais bien le mot de fantaisie si je ne le sentais si prostitu\u00e9, du moins dans le sens o\u00f9 on l\u2019entend actuellement, et s\u2019il ne devait aboutir \u00e0 des recherches propres uniquement \u00e0 cette rcth\u00e9\u00e2tralisation du th\u00e9\u00e2tre qui est le dernier cri de l\u2019id\u00e9al contemporain. Non, je dirai plut\u00f4t qu\u2019il faut intellectualiser le th\u00e9\u00e2tre, mettre les sentiments et les gestes des personnages sur le plan o\u00f9 ils ont leur sens le plus rare et le plus essentiel. Il faut rendre plus subtile l\u2019atmosph\u00e8re du th\u00e9\u00e2tre. Ce qui ne demande aucune op\u00e9ration m\u00e9taphysique bien \u00e9lev\u00e9e. T\u00e9moin le cirque. Mais simplement le sens des valeurs de l\u2019esprit. Ceci supprime et met en dehors du th\u00e9\u00e2tre les trois quarts au moins des productions qui y ont cours, mais fait remonter le th\u00e9\u00e2tre jusqu\u2019\u00e0 sa source et le sauve du m\u00eame coup. Pour sauver le th\u00e9\u00e2tre, je supprimerais jusqu\u2019\u00e0 Isben, \u00e0 cause de telles discussions sur des points de philosophie ou de morale qui n\u2019int\u00e9ressent pas suffisamment par rapport \u00e0 nous l\u2019\u00e2me de ses h\u00e9ros.<\/p>\n

Sophocle, Eschyle, Shakespeare sauvaient certains tiraillements d\u2019\u00e2me, un peu trop au niveau de la vie normale, par cette esp\u00e8ce de terreur divine qui pesait sur les gestes de leurs h\u00e9ros, et \u00e0 laquelle le peuple \u00e9tait plus sensible tout de m\u00eame qu’aujourd\u2019hui.<\/p>\n

Ce que nous avons perdu du c\u00f4t\u00e9 strictement mystique, nous pouvons le regagner du c\u00f4t\u00e9 intellectuel.<\/p>\n

Mais il faut pour cela r\u00e9apprendre \u00e0 \u00eatre mystique au moins d\u2019une certaine fa\u00e7on; et nous appliquant \u00e0 un texte, nous oubliant nous-m\u00eames, oubliant le th\u00e9\u00e2tre, attendre et fixer les images qui na\u00eetront en nous nues, naturelles, excessives, et aller jusqu\u2019au bout de ces images.<\/p>\n

Se d\u00e9barrasser non seulement de toute r\u00e9alit\u00e9, de toute vraisemblance, mais m\u00eame de toute logique, si au bout de l\u2019illogisme nous apercevons encore la vie.<\/p>\n

Pratiquement, et puisqu\u2019il faut malgr\u00e9 tout des principes, voici quelques id\u00e9es palpables:<\/p>\n

Il est certain que tout ce qui est au th\u00e9\u00e2tre visiblement faux contribue \u00e0 cr\u00e9er l\u2019erreur dont nous souffrons. Voyez les clowns. Ils b\u00e2tissent la sc\u00e8ne avec la direction d\u2019un regard. Donc sur la sc\u00e8ne rien que de r\u00e9el. Mais tout ceci a \u00e9t\u00e9 dit. On ne supportera pas que des acteurs \u00e0 trois dimensions se meuvent sur des perspectives plates et avec des masques peints. L\u2019illusion n\u2019existe pas pour le premier rang de l\u2019orchestre. Il faut ou \u00e9loigner la sc\u00e8ne, ou supprimer tout le c\u00f4t\u00e9 visuel du spectacle.<\/p>\n

De plus, pour que la gradation mentale soit plus sensible, il faut \u00e9tablir entre Shakespeare et nous une esp\u00e8ce de pont corporel. Un acteur quelconque qui, dans un accoutrement, le mettra hors de la vie normale, mais sans le projeter dans le pass\u00e9, sera cens\u00e9 assister au spectacle, mais sans y prendre part. Une esp\u00e8ce de personnage en gibus et sans maquillage qui, par son allure, s\u2019extrairait de l\u2019as\u00ad sembl\u00e9e. Il faudrait changer la conformation de la salle et que la sc\u00e8ne f\u00fbt d\u00e9pla\u00e7able suivant les besoins de l\u2019action. Il faudrait \u00e9galement que le c\u00f4t\u00e9 strictement spectacle du spectacle f\u00fbt supprim\u00e9. On viendrait l\u00e0 non plus tellement pour voir, mais pour participer.<\/p>\n

Le public doit avoir la sensation qu\u2019il pourrait sans op\u00e9ration tr\u00e8s savante faire ce que les acteurs font.<\/p>\n

Ces quelques principes entendus, le reste est affaire du g\u00e9nie du metteur en sc\u00e8ne, qui doit trouver les \u00e9l\u00e9ments de suggestion et de style, l\u2019architecture ou la ligne essentielle les plus propres \u00e0 \u00e9voquer une \u0153uvre dans son atmosph\u00e8re et dans sa sp\u00e9ciosit\u00e9.<\/p>\n

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